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Conseillé par sandrine5719 février 2014
Ils sont seuls désormais. Dans leur deux-pièces, leur "bateau ivre", leur refuge, le narrateur et l'Estropié sont seul depuis que Pedro a choisi de faire le grand saut depuis le douzième étage d'un immeuble, loin là-bas, dans un pays "couleur de richesses et de modernité". Du jeune homme bouillonnant de vitalité ne restent plus que le lit en fer dans un coin de la pièce et le chagrin mêlé de rage de ses deux compagnons de vie, restés à Haïti. Alors le narrateur, journaliste abonné à la rubrique nécrologique, entreprend d'écrire les trois colonnes que son rédacteur en chef lui a accordées et qui seront le dernier hommage à l'artiste disparu. Mais la vie, la fièvre, la peine, la générosité, la passion, la folie peuvent-elles être réduites à trois petites colonnes ?
Le "sale petit-bourgeois pleurnichard" qui avait choisi le quartier pauvre de la ville pour y construire sa vie, y oublier ses déchirures, déclamait des poèmes dans les ruelles, distribuait des pages de livres aux passantes, s'amourachait de femmes qui n'étaient pas pour lui, redonnait le sourire aux plus tristes sires, faisait l'acteur dans une troupe de théâtre, enchantait la vie de ceux qui l'entouraient. Parfois ses blessures les plus profondes prenaient le dessus sur la joie de vivre, il plongeait alors dans une mélancolie insondable, n'offrant que son silence à ses compagnons. Ceux-là même qui regrettent de n'avoir pas été à ses côtés pour empêcher son dernier plongeon. Le raconter, se raconter, et raconter l'Estropié, c'est ce qu'accomplit le narrateur dans cette longue lettre qu'il jette à la face de ce monde qui n'a pas su retenir Pedro.
Alors oui, c'est un joli texte, très poétique, un cri du coeur, écrit d'un jet, avec les tripes. Bien sûr, c'est une évocation très riche de la vie dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince. Oui bien sûr, les personnages sont touchants, du narrateur privé de ses parents par un stupide accident, à l'Estropié et sa terrible enfance auprès de Méchant, un père cruel et violent, en passant par Madame Armand, usurière obèse, qui croyait si fort aux contes de fée avant que la vie ne se charge de les lui faire oublier, sans oublier Pedro, l'écorché-vif, le clown triste, dont le suicide laisse ses amis sur le carreau.
Mais quelle purge, quel ennui ! Un récit looooong, sans respiration, truffé de citations poétiques et surtout répétitif. Toujours la même rengaine sur la radio étrangère qui annonce le suicide de Pedro depuis le poste de la voisine jalouse et de son mari routier, sur les brimades de Méchant, sur la colline si difficile à gravir, etc. C'est un style bien sûr, une manière d'imprégner le lecteur de toute la tristesse ressassée par le narrateur mais quand on y reste hermétique, on n'entre pas dans le récit, on ne s'attache pas à Pedro, l'égoïste qui n'a jamais pris le temps d'interroger ses amis sur leurs blessures, leurs chagrins, auto-centré sur ses "problèmes de riche".
Un livre est une rencontre, parfois elle n'a pas lieu. On se sent un peu minable de rester froid quand tant d'autres crient au génie et ont été touchés aux larmes mais c'est ainsi...