Et devant moi, le monde

Joyce Maynard

Philippe Rey

  • Conseillé par
    10 mars 2011

    Dans ce livre, Joyce Maynard raconte sa vie. Et quelle vie…Un père alcoolique, une mère qui la pousse à écrire à tout prix. Très vite, Joyce comprend qu’à l’extérieur, il faut donner une image d’une famille parfaite même si ce n’est pas le cas. Et, il s’agit déjà d’une jeune fille fragilisée à 18 ans qui tombe dans l’anorexie. Maigrir et rester très mince deviennent son obsession.

    Etudiante en première année à l’université de Yale, mal dans sa peau, son article au New York Times Magazine lui vaut un certain succès. De quoi raviver au passage l’égo de sa chère maman. Joyce reçoit une lettre flatteuse de l’écrivain J.D. Salinger et tombe sous le charme de la voix de cet homme de 53 ans. Ils s’écrivent à un rythme effréné et pour Joyce, Salinger est enfin quelqu’un qui la comprend ! La suite, on la pressent. Joyce quitte tout et part s’installer avec Salinger qui se passionne pour la naturopathie, l’homéopathie et s'impose un régime de vie alimentaire très strict. Tombée dans les mailles du filet et en adoration pour lui, Joyce devient sa «proprieté ». Salinger entreprend de la façonner psychologiquement, il est son gourou et va se monter de plus en plus autoritaire au fil des mois. Les problèmes vont surgir et l’écrivain la jettera comme une malpropre. Comment sortir indemne d’une telle relation ? Impossible. Malgré les blessures, les traumatismes, elle va recommencer une nouvelle vie. Repartir de rien et essayer de se reconstruire.

    Je ne sais pas ce qui c’est passé avec cette lecture… J’ai envie de dire que dès le départ les dés étaient pipés. Parce ce que ce livre a trouvé de nombreux échos en moi, trop peut-être d'ailleurs. Bizarrement, je ne suis pas ressortie bouleversée de cette lecture. Peut-être à cause du ton suffisamment détaché. Oui, je sais, ça fait beaucoup de "peut-être" !
    Une chose est certaine, la pudeur perle entre chaque ligne de ce récit. La manipulation psychologique, les conséquences de l'alcoolisme, l'engrenage de l'anorexie sont décrits avec beaucoup de justesse...


  • Conseillé par
    2 février 2011

    Un récit captivant

    Joyce Maynard. Le nom de cette auteure américaine est surtout connu pour son roman, paru l’année dernière, Long week-end.

    Et devant moi, le monde n’est pas un roman mais le récit de la vie de l’écrivain.

    A peine reçu, je l’ai commencé et n’ai pas pu m’en détacher avant d’être arrivée à la dernière page. Car cette histoire personnelle, hors du commun à bien des égards mais qui possède aussi des traits universels, se lit comme un roman. Grossièrement, on pourrait distinguer dans ce récit deux parties : l’avant et l’après-Salinger.

    Dans la première, Joyce Maynard évoque sa famille, son enfance, son éducation. Une éducation bien particulière, transmise par une mère frustrée de ne pouvoir exister socialement et qui reporte sur ses enfants, et sur Joyce en particulier, ses espoirs déçus, et par un père professeur, artiste peintre incompris qui sombre dans l’alcoolisme. Très vite, ses parents lui mettent un stylo dans la main et l’exhortent à écrire sur elle, sur sa vie. S’ensuivent alors de longues séances où Joyce lit son texte et où ses parents corrigent… Ils forment une famille un peu en marge, vivant dans une relative autarcie, considérant que peu d’étrangers sont dignes de faire partie de leur cercle. Joyce subit une relation fusionnelle avec sa mère et, à l’âge de l’adolescence, comprend qu’elle a des problèmes dans deux domaines : la nourriture et tout ce qui touche au sexe. Sans cesse encouragée par sa mère, elle envoie un jour un article au New York Times Magazine. Ce dernier est publié au printemps 1972 et rencontre un immense succès.

    On entre alors dans la deuxième partie de ce récit car, parmi toutes les lettres enthousiastes que Joyce Maynard reçoit à la suite de cette publication, se trouve celle d’un certain J. Salinger, l’auteur culte de L’attrape-cœurs. Commence alors entre la jeune étudiante et le romancier, alors âgé de plus de cinquante ans, une correspondance nourrie et de plus en plus tendre qui débouche bientôt sur un week-end que Joyce va passer chez l’écrivain. En quelques mois, Joyce se laisse convaincre d’abandonner ses études prometteuses à Yale pour aller vivre avec Salinger. Ce dernier, en guerre contre la marchandisation à l’œuvre dans la société américaine, vit reclus, en ascète, se passionnant essentiellement pour la méditation, l’homéopathie et l’écriture, évidemment. Peu à peu, des problèmes surgissent entre eux. Joyce est incapable d’avoir des rapports sexuels. Elle rêve de gloire, de se faire un nom, pour vivre de sa plume. Or, Salinger n’a que mépris pour ce genre de choses. Au bout de quelques mois, il la renvoie, purement et simplement, en lui faisant comprendre qu’il ne veut plus rien avoir à faire avec elle…

    Joyce, avec l’argent de son premier roman, achète une maison isolée dans la campagne du New-Hampshire et essaie de se reconstruire. Elle est totalement anorexique, sans le sou, livrée à ses peurs et à ses espoirs. Curieusement, elle ne se laisse pas abattre et tente de reprendre pied. Elle travaille à l’écriture de plusieurs articles, qui paraissent dans des magazines et lui permettent de survivre. Bientôt, elle rencontre un homme, l’épouse et devient mère pour la première fois…

    Ce roman d’une vie, Joyce Maynard l’a écrit pour revenir sur son passé et essayer de comprendre la singularité de sa trajectoire. Comprendre aussi pourquoi le premier homme qu’elle a aimé l’a traitée comme un kleenex. Le lecteur suit, tour à tour effaré ou plein d’empathie, les remous de cette vie qui est tout sauf banale. Les sujets abordés : l’alcoolisme, l’anorexie, la manipulation, le chantage affectif, l’amour dévastateur de certains parents, la maternité, l’écriture bien sûr, les relations de couple permettent de passer du cas particulier à l’universel car nous sommes tous concernés, d’une manière ou d’une autre par ces thèmes.

    Ce récit est celui d’une femme malmenée par la vie, un peu fêlée mais qui possède aussi un courage incroyable et ne se laisse jamais abattre. Peu importent les coups reçus, elle revient toujours sur le ring et continue à écrire, quoi qu’il arrive. Un témoignage haletant et qui donne vraiment matière à réfléchir.

    "J’avais toujours cherché à comprendre le sens de mes expériences sans tenir compte d’un élément crucial. Il y a encore deux ans, je n’aurais pas été capable de dire ce qui, dans la façon dont j’avais vécu avant de rencontrer Jerry Salinger, lui donnait sur moi un pouvoir aussi immense et durable. Pas plus que je n’aurais pu dire en quoi les évènements de cette année passée avec lui avaient façonné la suite de ma vie. Et voilà que cela me frappait à présent à travers l’image de ma fille. Pendant des années, je m’étais accrochée à des secrets qui m’empêchaient de me comprendre ou de m’expliquer. J’ai senti qu’il était temps d’explorer enfin mon histoire."